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26/09/2006

chocolat



«[Max] Doerner avait vu juste: comme la chaîne de la tradition a été brisée, les artistes ‹travaillent indépendamment les une des autres
. Quand les filiations temporelles sont rompues, les liens spatiaux se dissolvent; quand les morts ne parlent plus aux vivants, les vivants ne communiquent plus entre eux. Disparue la communauté des pairs avec qui l'artiste dialogue par-delà le temps, il ne lui reste pour régler ses ambitions que le social. La distinction entre artiste et non-artiste n'est plus un a priori, et la définition même de l'art est devenue une affaire publique réglée par la vox populi, avec les risques évidents de donner dans la mode et la démagogie. Doerner l'a vu, mais ce qu'il n'a pas voulu admettre, c'est que cette condition du peintre de la vie moderne, que Baudelaire avait saisie avec une autre clairvoyance, était irréversible (c'est moi qui souligne, P. L. ). Aucun corporatisme, aucune défense du métier, aucune admonestation enjoignant les célibataires de broyer leur chocolat eux-mêmes ne feront qu'ils cesseront d'être des célibataires.»

 

Thierry de Duve, Résonnances du readymade

17/09/2006

Scheibitz, suite

Je pose ici ma réponse au commentaire de Gaspard Gardner:

Comment peut-on être si sûr que Klee ne concourt pas? N'est-ce pas ici la légende moderniste qui parle?
Klee a quand même fondé une école, participé au mouvements artistiques les plus pointus de l'époque, théorisé sans cesse, etc… N'a-t-il pas lui aussi «exercé un langage pictural donné selon un programme précis»?

Par contre, je suis d'accord de dire «qu'il cherche spécifiquement un non-lieu qui échapperait aux sanctions relatives à la victoire ou à la défaite». La question est de savoir pourquoi. Par modestie? par ruse? par crainte?

Je relis Thierry de Duve et je comprends ceci: l'horizon de l'art moderne est la toile vierge. C'est ce que Duchamp a compris dès 1917, et que les peintres ont fini par comprendre en 1950. Mais cet horizon de la toile vierge s'est dessiné dès le début de l'art moderne, disons vers 1860, avec la phrase de Cézanne: «Je vous dois la Vérité en peinture et je vous la dirai», et celle de Baudelaire à Manet: «Vous n'êtes que le premier dans la décrépitude de votre art».
A partir de là, De Duve le montre très bien, la toile vierge est la sanction suprême, l'ultime totem auquel on essaie d'échapper tout en courant vers lui à toutes jambes. Voilà pour moi le sens de l'«errance» de Klee et des autres modernes, voilà pourquoi ils nous en imposent – ils sont en danger, ils luttent, ils essaient d'échapper à la sanction tout en la mettant en œuvre(s).

Pour nous, pour Scheibitz, la sanction est tombée, il n'y a plus de manque (le manque me manque), plus de danger (plus le danger est grand, plus grand est ce qui vient au secours). C'est ça qui nous manque, c'est là qu'on est en danger.