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15/02/2013

Les oubliés de Marc De Bernardis

Marc De Bernardis, Les oubliés, crayons sur papier préparé, 31 x 22 cm, 2012-2013

Ouvrir le quotidien gratuit (pas celui du jour, mais celui qui traîne là depuis une semaine en attendant de servir d'allume-feu), le parcourir d'un œil distrait, tomber sur une photo de rue, comprendre qu'il s'agit d'une rue russe, y voir une bâche imprimée, gigantesque, que des ouvriers sont en train de monter ou de démonter sur une façade; sur la bâche partiellement déployée, ondulant tel un pan de rideau, reconnaître le visage de Vladimir Poutine. Cette expérience – mais peut-on vraiment parler ici d'expérience, c'est plutôt un accident de pause café  – nous la faisons tous les jours.
On sait la capacité phénoménale du cerveau à reconnaître un visage dans n'importe quelle situation: c'est une question de survie. Mais on sait aussi que cette capacité est modélisable et qu'elle est aujourd'hui à la portée d'un programme informatique. Décrypter ce visage à partir des quelques taches d'encre sur la page d'un quotidien un peu chiffonné entre deux bouchées de tartine, est éventuellement plus difficile, mais là, n'est pas la question que pose Marc De Bernardis. Son projet n'interroge pas la reconnaissance faciale, mais le portrait. Que ce passe-t-il, si au lieu de mettre en route l'ordinateur cérébral et d'aplatir mentalement le rideau, déchifonner le journal, rétablir les perspectives et les proportions, si au lieu donc de décoder, on observe et dessine?
Pour sa suite Les oubliés, Marc de Bernardis installe un dispositif qui rejoue  l'«expérience Poutine» du café matinal. Il scanne une photographie ou une peinture, l'imprime sur une petite imprimante, puis chiffonne la feuille obtenue, la déchiffonne, la remet en boule et observe les mouvements du visage. Il dessine alors ce qu'il voit. Non pas le papier, ses plis, ses ombres, mais le visage qui le traverse malgré les pliures. Sur un papier préparé, il utilise la technique classique des deux crayons (variante de celle à trois, techniques typiques du XVIIIe, de Boucher ou de Watteau par exemple, mais il y a dans le trait de De Bernardis une rigueur qui évoque aussi bien Holbein), à savoir un Conté noir et un blanc. Le dessin est dénué de tout expressionnisme, l'observation est stricte, pas d'affect visible, le trait est calme, souple, délié. Les déformations que le chiffonnage a imposé au visage sont prises pour ce qu'elles sont: non des difformités, mais de simples mouvements, des volumes inattendus, une tridimensionnalité imprévue. L'art du portrait semble se jouer en dehors de la captation des déformations et ne viser que l'appréhension d'un regard, la lumière d'un œil, la présence. Et cette présence, saisie par-delà les aléas des étranges configurations du visage que génère le chiffonnage, le spectateur la ressent d'autant plus fortement qu'elle semble l'atteindre depuis un paysage tourmenté, parfois objectivement monstrueux, dérangeant. Ce paysage traversé sans force de calcul, sans décodage, sans technologie, mais avec la simple patience du portraitiste nous rend sa monstruosité nécessaire. Elle n'est plus un écueil à éviter, une erreur à gommer, un vice de forme ou un bug: elle est le lieu même où le portrait advient.

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