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16/05/2007

Feuille, caillou, ciseau, ombre [XIII]

La question du jour, monumentale comme d'habitude: Y a-t-il de l'événement dans le dessin hyper-lié?

Je me suis posé cette question en regardant La Linea, une série de dessins animés d'Osvaldo Cavandoli datant des années septante et qui est rééditée depuis peu.

  

 

La Linea est une ligne ininterrompue qui traverse horizontalement l'écran et qui se déforme pour figurer un petit personnage rigolard et d'autres éléments qu'il rencontre sur sa route. Il marche beaucoup, toujours de droite à gauche, et il ne lui arriverait pas grand chose si la ligne n'était pas très régulièrement interrompue. Chaque fois que ça arrive, il s'adresse au dessinateur pour lui demander de l'aide et on voit alors la main de celui-ci apparaître dans le champs de l'image et rétablir, avec son crayon blanc , la ligne ininterrompue.

Je constate ceci: tous les événements sont provoqués par une rupture du système et une intrusion de l'extérieur. Par événement j'entends ici: début de l'histoire, gag, fin de l'histoire.

Cette particularité a été largement utilisée par les publicitaires. Deux campagnes jouent sur l'effet d'intrusion dans un sytème fermé et hyper-lié d'un événement qui est évidemment le produit à vendre. Ce sont les ombres chinoises comme ici, dans une fameuse campagne pour l'ipod de Apple: voir et là dans un film vantant les mérites de la VW Phaeton: voir.

02/02/2007

Question

J'aimerais répondre ici à une question d'Isaac Pante, reçue par mail: «Quelle est la définition du concept «hyper-lié». Est-ce un concept fréquent en art et bien établi, ou s'agit-il d'un objet conceptuel que tu essayes de dégager par touches successives ?»

— Je ne suis pas un théoricien, mais j'aime faire, et certains s'en irritent sans doute, de l'interprétation sauvage. Je n'ai pas fait les recherches qui s'imposeraient à tout critique d'art sérieux quant à l'historique des concepts que je manipule. Il s'agit donc bien ici d'un «objet conceptuel que j'essaye de dégager par touches successives»,  formule flatteuse pour ces modestes notes.

Je suis parti, comme toujours, d'une image. Ici, ça a plutôt été une image de plus. Sur l'armoire de cuisine d'un ami, j'ai vu un enième flyer qui utilisait l'esthétique de la silhouette — figures noires sur fond blanc. Je me suis demandé pourquoi j'en voyais autant, s'il était possible de décrypter les enjeux de cette esthétique, et de comprendre comment opère l'indéniable charme de ces images.

Ce que je raconte dans mon premier texte est absolument véridique: la première chose qui me soit venue est cette phrase: «plus un dessin est infra-mince, plus il est hyper-lié.» Je n'avais aucune idée de ce que ça voulait dire, mais j'ai décidé que ce serait mon point de départ. Ici, il faut rappeler que l'«inframince» est une invention  de Duchamp Marcel:

«J'ai choisi exprès le mot mince qui est un mot humain et affectif  et non une mesure précise de laboratoire. Le bruit ou la musique faits par un pantalon de velours côtelé comme celui-ci quand on le fait bouger est lié au concept d'inframince. Le creux dans le papier entre le recto et le verso d'une fine feuille… A étudier!… C'est une catégorie dont je me suis beaucoup occupé pendant ces dix dernières années. Je pense qu'au travers de l'inframince, il est possible d'aller de la seconde à la troisième dimension.»

Ensuite, j'ai observé de plus près les dessins de silhouettes, les ombres chinoises, et les découpages, et j'ai constaté ceci: dans chaque cas, les éléments visibles du dessin sont reliés entre eux par des liens cachés, qu'on peut assimiler à des hyper-liens tels que ce blog en propose. Exemples: l'oreille du lapin est reliée à sa tête par l'articulation des phalanges de la main qui crée l'ombre, le loup est relié au buisson par la texture du papier qu'on a découpé, etc. C'est une sorte d'évidence, mais ça m'a permis de découvrir qu'un dispositif similaire est nécessaire pour créer ces différentes images, et que ce dispositif est peu ou prou celui de la projection.

Une vraie surprise a été de découvrir que la perpective opère selon le même mode; nous sommes tellement habitués à voir des images où, par exemple, un petit bâtiment semble surgir comme une excroissance d'un bâtiment plus grand — nous comprenons immédiatement que le bâtiment plus petit est en fait derrière l'autre et partiellement caché par celui-ci — qu'on ne voit plus qu'il s'agit d'une pure convention.

[Je n'ai pas abordé la question de la photographie, qui est, évidemment, une autre application du même dispositif. Je vous renvoie à Stéphane Zagdanski et à son excellent livre «La mort dans l'œil», pour cette question et son origine platonicienne.]

Une autre question que je n'ai pas abordée est la suivante: qu'est-ce qu'un dessin qui n'a pas été créé par un dispositif de projection, un dessin non hyper-lié? Et d'abord, y en a-t-il?

J'ai fait une vague allusion à  ce qui pourrait tenter de se définir ici dans mon texte sur le cut-up, et sur son lien rêvé avec l'exaltation. Je dirais aujourd'hui que le dessin non hyper-lié pourrait s'appeler dessin prophétique. Je l'entends ainsi: un dessin qui fait ce qu'il dit. Le dessin d'enfant est ici le paradigme. Zéro plus zéro égale la tête à Toto.
 

Ce n'est qu'une petite esquisse, merci à Isaac Pante pour sa question.