25/07/2006
Pour Maxence Alcalde
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24/07/2006
Les chopines abandonnées
Sur le panneau des «Deux Vénitiennes», il ne reste donc de Bethsabée que ses chaussures. Ce sont des chopines rouges, laissant apparaître les doigts de pied, pourvues d'une semelle de bois, épaisse ici de peut-être 15 à 20 centimètres. Les chopines les plus hautes qui nous soient parvenues se trouvent, comme la peinture de Carpaccio, au Musée Correr à Venise:
Edouard Dor décrit ces chaussures de la manière suivante (p. 28): «Un peu plus loin, une paire de chaussures usées, sortes de cothurnes, semble abandonnée par sa propriétaire. Elles ont été laissées là, n'importe comment, la chaussure gauche à droite et la droite à gauche.»
Quatre interprétations intéressantes:
-Les chaussures sont usées
-Ce sont des sortes de cothurnes
-Elles semblent abandonnées
-Elles sont inversées
Peut-être.
Ou alors ce sont des chopines qui viennent d'être ôtées un peu précipitamment.
L'interprétation de Dor marque ici encore son goût pour le mystère, le masque et la métaphysique.
Les cothurnes sont des chaussures grecques (alors que les chopines seraient plutôt d'influence chinoise), elles sont montantes et elles ne se distinguent pas par leurs hautes semelles mais par leurs lanières lacées par-devant. Par contre, la version à semelle de bois très épaisse existait, mais était uniquement portée par les acteurs, tragiques en particulier. D'où les expressions chausser, mettre ou prendre le cothurne: composer, jouer des tragédies; adopter le ton de la tragédie. (Chausser le cothurne s'utilise aussi ironiquement au sens de «enfler son style, utiliser un style pompeux».)
Cette statuette en terre cuite de Hiéron représente un acteur (dans le rôle comique de Maccus) chaussé de ses cothurnes.
Les chopines, spécialité typiquement vénitienne, ont été portées au XVème et au XVIème siècle surtout, par les courtisanes et repésentantes de la noblesse. Elles sont des symboles de puissance matérielle si elles sont cachées, et de disponibilité sexuelle si elles sont montrées (en particulier si elles sont rouges, comme dans la peinture de Carpaccio). La gravure ci-dessous montre une prostituée de bas étage, une puttana qui soulève sa jupe pour montrer ses chopines en entier, indiquant ainsi sa disponibilité.
Cothurnes ou chopines? Chaussures de tragédie ou chaussures de boudoir? Chaussures d'histrion ou de Vénus? Chaussures d'acteur ou de puttana? La question n'est pas sans importance, surtout si en plus elles sont inversées…
«On distingue les sexes aux pieds», dit Flaubert qui s'y connaissait. Et on reconnait les pieds aux chaussures, évidemment.
A propos de pieds et de Flaubert, voir une étude de Florence Emptaz.
Sur les chopines en particulier, voir essay on chopines.
02:20 Publié dans Les deux Vénitiennes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Venise, chopines, chaussure, art, peinture, Carpaccio, Flaubert | Facebook