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16/09/2006

Klee-Scheibitz-Picasso

Grand merci à Monsieur KA et à Lunatique pour les commentaires sur la note précédente. Il faut maintenant que je réponde moi aussi aux questions que j'y posais. Voici d'abord une autre peinture de Scheibitz, un Picasso, et un autre Klee (merci au site du Zentrum Paul Klee).


Thomas Scheibitz, Anlage, 2000, huile sur toile, 200x270 cm


Pablo Picasso, Cuisine, 1948, huile sur toile, 175x250 cm


Paul Klee, Vue du rouge, 1937, pastel sur coton sur couleur à la colle sur toile de jute, 47x50 cm





Pourquoi trouve-t-on Scheibitz spontanément moins bien?


Le Scheibitz de la note de hier, j'aurais également tendance à le trouver un peu faiblard. Anlage, ci-dessus, m'enthousiasme par contre totalement. Pourtant les deux peintures sont construites sur un principe similaire que je décrirais ainsi: les outils de la modernité historique (déconstruction, aplatissement, segmentation, abstraction) ne sont pas conquis de haute lutte (évidemment: c'est déjà fait), mais utilisés pour leur puissance évocatrices (de la légende moderne) et décoratives.
On passe ainsi directement d'un jugement esthétique à un jugement moral, idéologique: Scheibitz utilise des outils qu'il n'a pas fabriqués, qu'il a piqué à ces prédecesseurs, et ça ne se fait pas.
Klee est un précurseur, un inventeur; Scheibitz un entrepreneur. Klee est un perdant magnifique, Scheibitz un investissement gagnant imposé par un marché globalisé. Klee est allemand né en Suisse, réfugié en Suisse, Scheibitz un ex-allemand de l'est. Klee n'a que des devoirs, Scheibitz a tous les droits. Klee est un vaincu, Scheibitz un vainqueur.
(C'est pourquoi je propose ici aussi un beau Picasso: de quel côté le placer?)


Qu'y a-t-il en moins chez Scheibitz?

En comparaison avec Klee, Monsieur KA juge que chez Scheibitz «il manque la chaleur, la vibration de la vie et l'innocence retrouvée qui émanent des œuvres de Klee. Il manque ce contact sensuel, charnel, que tout un chacun ressent lorsqu'il se trouve pour de vrai face à une oeuvre de Klee. Tout cela manque parce que ce Monsieur Scheibitz ignore ce qu'est la sincérité». (Il faut rappeler ici que sa réponse concerne le Scheibitz de la note du 11 septembre)

Ici de nouveau, le jugement esthétique est inextricablement mêlé au jugement moral. Chaleur, vie, sincérité, sensualité et innocence d'un côté, contre froideur, pose, insincérité et astuce de l'autre côté. Voit-on cela ou le sait-on par ailleurs? Si j'essaie de regarder ces deux peintures comme si je ne savais rien des tenants et des aboutissants qui ont contribué à leur élaboration, est-ce que j'arrive à la même «impression»?

Quelle sont les différences visibles? Le Scheibitz est d'un format plus grand que le Klee, la peinture a l'air plus lisse — moins d'effets de matière, les couleurs sont plus nettement définies — moins de ton moyens et de zones de transition, la symétrie est plus forte que chez Klee —bien que jouant sur le même principe de décalages qui se découvrent petit à petit, la touche semble plus assurée — il y a probablement mois de «repentirs», voire aucun, la tonalité du Scheibitz est un peu plus froide, électrique et heurtée que celle du Klee, qui est plus chaud et harmonique. A part ça? je ne vois pas. Je pourrais conclure ici que Klee est plus facile d'accès, plus «flatteur», alors que Scheibitz est plus difficile, imposant, moins empathique.

Alors comment KA en arrive-t-il à son jugement? et comment se fait-il que je comprends ce jugement, que je peux le ressentir comme juste? Réponse de KA: Parce que ça l'est!
Je pense qu'on arrive à cette conclusion lorsqu'on juge la peinture contemporaine avec des lunettes modernes.
Ces lunettes, je les connais, je peux les chausser, et si je juge Scheibitz avec ces lunettes, je suis d'accord avec KA.
Mais j'aimerais comprendre les lunettes modernes: comment elle fonctionnent, qui les a construites.



Est-ce un jugement sur les œuvres ou sur l'histoire?

C'est donc un jugement sur l'histoire, sans doute.

Commentaires

Prenons le problème par autre un autre bout; comparons Scheibitz aux vaincus d'aujourd'hui; est-ce qu'il ne serait pas simplement meilleur?

Ma réponse est oui et il y a une raison toute simple.
C'est une loi spirituelle et physique: plus les motivations sont basses, plus il est facile de déployer de l'énergie et d'atteindre un but même au prix d'une discipline monastique.
C'est un principe de levier dont parle très bien Simone Weil.

D'autre part, il est vrai que la comparaison est trompeuse si on la fait avec Klee parce qu'il est devenu avec la distance historique un vaincu sublimé.

Mais le fond du problème est que Klee et Scheibitz ne concourent pas dans la même catégorie. Plus exactement, l'un concourt, c'est pour cela qu'il se donne les moyens de devenir bon, et l'autre ne concourt pas.

Dans la catégorie exercer un langage pictural donné selon un programme précis, Scheibitz est certainemant excellent. Et il peut y avoir un plaisir à regarder ce niveau d'excellence.
Mais Klee ne concourt pas, ni dans cette catégorie ni dans une autre. Il erre, comme tous les non-dupes qui se respectent.
Il n'est donc pas à proprement parler un vaincu, (même si cette terminologie ne me déplaît pas), parce qu'il ne cherche pas la victoire.
Peut-être même qu'il cherche spécifiquement un non-lieu qui échapperait aux sanctions relatives à la victoire ou à la défaite.

Écrit par : Gaspard Gardner | 17/09/2006

Il est toujours difficile d'établir des comparaisons entre les peintres. Je ne connais pas ce Scheibitz (je vais prendre le temps de connaître un peu plus sur lui...), mais du point de vue pictural, basant sur les quelques images publiées sur votre site, je ne trouve rien de "nouveau" ou de "révolutionnaire" dans sa peinture.

Quant aux oeuvres de Picasso, on peut les aimer, les aimer modérément ou pas du tout. Avec le temps, l'histoire réévaluera sans doute son apport artistique. Pour le moment, je trouve qu'il occupe une place bien trop grande dans l'opinion populaire. Hélas! C’est dommageable pour l'art tout court.

L'oeuvre artistique de Paul Klee, c'est comme la vie... avec ses impossibilités, ses moments de joie et de sublime, ses banalités, ses thériens picturales et ses démonstrations académiques du temps du Bauhaus... Bref, il est un être humain noble et un artiste sincère. Il y a peu d'artiste connu dans l'histoire qui possède une telle dimension. Même si Klee admirait Picasso. À mon humble avis, il ne peut avoir de la comparaison entre eux.

Félicitations pour votre blog, sujets forts intéressants!

Écrit par : Yiming Xu | 23/09/2006

Bonjour, j'ai découvert votre blog il y a peu de temps et je me permets d'y revenir. J'espère que je n'ai pas dit trop de bêtises !

Je ne connais guère Schz (voir Google, peut-être, hum..., c'est bien ce que je pensais !) mais pour en revenir à Picasso, je me souviens, pour avoir travaillé sur Kandinsky, que le Bauhaus "reprochait" surtout à Picasso de n'avoir jamais abandonné la représentation de l'objet pour un thème plus conceptuel....

Je crois que leur plus évidente "différence" réside sur ce point plus particulièrement. Et aussi sur le fait, comme il est dit, que la sincérité de Paul Klee ne peut être mise en balance avec celle de Picasso qui, au fond de lui-même, regrettait une première manière plus "classique", finalement.

Ces quelques lignes inspirées par la réflexion de Y. Xsu.

Écrit par : endora | 23/09/2006

Y. Xu, veuillez bien excuser Endora d'avoir quelque peu "compliqué" votre patronyme !

Écrit par : endora | 23/09/2006

J'ai trouvé il y a quelques années une coupure du Journal de Genève où des propos de Picasso étaient rapportés, des extraits d'interview où il parle de son sentiment d'être un escroc, ou un fanfaron, ou quelque chose comme ça. L'article datait d'une époque où Picasso était loin d'être le monstre qu'il est aujourd'hui (bien que ça aussi, c'est en train de passer) et il était courant, facile et admissible de le dégommer. Par les phrases en question, le journaliste pensait démontrer l'insincérité (puisque c'est de ça dont il est question) de Picasso.
Eh bien, je ne pense pas que la démonstation soit faite. Je vois Klee et Picasso comme deux enfants (qui se sont peut-être reconnus comme tels), seulement ce sont deux enfants très différents. L'un est timide, rêveur, lent, musicien, l'autre est bruyant, démonstratif, bagarreur et cherche à pisser plus haut et plus loin que ses copains. L'un veut être aimé de sa maman, l'autre veut épater son papa. Sincèrement.

Écrit par : PL | 24/09/2006

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