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10/08/2006

A quoi rêvent les curateurs?

Dans une récente prise de position au sujet de la Biennale de Venise, *** (critique d'art dans un journal régional) se disait déçue. Déçue par le conformisme des curateurs des nombreuses expositions vénitiennes et par par la tendance un peu trop débonnaire des artistes à répondre aux attentes desdits curateurs, leur faculté à se couler dans le moule politiquement correct des concepteurs d’expositions.

Elle terminait l’article avec une note d’espoir qui était en même temps un appel en direction des artistes, une invitation à une certaine résistance: «On peut compter sur eux (pour ne pas s’en laisser compter).»

La question qui me tarabuste en tant qu’artiste est la suivante: qu’attend exactement *** des artistes ? Question qu’on peut sans doute élargir à: «qu’attend-on des artistes ?» A la lecture de l’article, une réponse sous-jacente est déjà donnée: On attend d’un artiste qu’il déçoive (les attentes un peu trop formatées).

Cette demande, cette attente peut sembler un peu étrange, contradictoire, mais elle a déjà une histoire dont on pourrait donner grossièrement, pour la comprendre, deux exemples:
un bourgeois fortuné demande que soit exécuté son portrait. Il désire être représenté tel qu’il s’imagine, beau (à la rigueur), imposant, important. L’artiste, tout en remplissant le contrat, dévoile, par un détail infime – un regard, une position des mains – une faille dans le caractère du personnage. On dira: voilà un portrait, profond, sensible, audacieux.
Une congrégation quelconque demande que soit représentée une scène fondatrice de son histoire ou de ses croyances. L’artiste, tout en remplissant le contrat, intègre dans la scène des éléments, ou construit tout la scène d’une certaine façon qui lui permette de mettre en œuvre des images mentales, des obsessions qui lui sont propres, mais par lesquelles il rejoint les obsessions, l’imaginaire de chacun. On dira: voilà une peinture inventive, personnelle, audacieuse.
Le «supplément» offert par l’artiste est raremenrt reconnu par le commanditaire. Pour lui le supplément est véritablement «de trop», il ne l’a pas demandé. C’est un défaut. Par contre pour l’observateur puis pour la postérité, ce «suppément» devient au contraire l’intérêt principal de l’œuvre, il identifie l’artiste et participe à entretenir le mythe de l’artiste tel qu’il court encore aujourd’hui comme le prouve la déception de *** .

Aujourd’hui, les commanditaires les plus importants et influents sont ces fameux commissaires d’exposition, les curateurs. Leur demande est aussi simple que celle de leurs prédecesseurs (bourgeois ou congrégations de tous genre): «Représentez ma vision du monde.» et/ou «Valorisez-moi». Avec, tout de même, un petit quelque chose en plus. Les curateurs ont parfaitement compris, intégré l’importance du «supplément». Ce supplément, qui doit en principe être pour eux une source de déception, devient même leur principale valorisation: preuve qu’il ont fait appel à un véritable artiste, preuve de discernement.
La mission de l’artiste devient ici fort complexe. Il devra décevoir le commanditaire (le curateur) à la hauteur de ses attentes.
Mais pas question pour autant de sortir du contrat implicite de respecter une vision du monde et/ou de l’art, et de valoriser le commanditaire. La marge de manœuvre de l’artiste devient dès lors extrêment ténue: Comment décevoir quelqu’un qui s’attend à être déçu? Comment décevoir quelqu’un qui veut être déçu? Et ceci sans le décevoir?

C’est ainsi que j’entends aussi l’appel (silencieux) de ***:«Je vous fais confiance, vous, les artistes, aurez encore le talent, le courage, la folie de me décevoir.»

Je ne vois pas de réponse plus adéquate à cette demande que la disparition.