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14/02/2007

Désinvolture

J'ai passé une semaine magnifique à lire les commentaires de haut vol sur la note précédente. (Pas grand monde pour Lalloz — tant pis tant mieux). Dans ces commentaires,  la question a tourné autour de l'objet de la désinvolture: une dette de vérité, un ciel à creuser, un prince à courtiser, la croyance à une cause. La désinvolture qui m'intéresse ici est celle du peintre. Qu'est-ce qu'un peintre désinvolte? La peinture a-t-elle des comptes à rendre à une vérité? à un ciel? à un prince? à une cause?

Ce que je vois, c'est que l'objet de la désinvolture est toujours une autorité menaçante, et que ça implique qu'on y croie. La désinvolture et la croyance sont du même côté de la médaille. Qu'y a-t-il de l'autre côté? Lalloz, de ce que j'en comprends, pose que l'inverse de la désinvolture n'est pas la croyance, mais la reconnaissance. C'est une chose différente que de croire au prince, au ciel, à la Vérité, à une cause ou de les reconnaître. Le désinvolte croit à la cause mais s'en dégage, le non-désinvolte reconnaît la cause et prend position.

En peinture, je prends par exemple la phrase de Cézanne: «Je vous dois la Vérité en peinture, et je vous la dirai». A mon sens,  elle a été comprise à l'envers. Cézanne ne croit pas à la Vérité en peinture — autrement dit, il ne croit pas à la peinture. Si c'était le cas, sa phrase aurait été plutôt: «Je vous dois la peinture en Vérité, et je vous la peindrai » (Une phrase que Malévitch, lui,  aurait pu signer). Version Duchamp: «Je vous dis la Vérité sur la peinture, et je ne vous (lui) devrai rien.»

On retrouve ça dans une autre phrase archi-rebattue: «Je ne cherche pas, je trouve». Chercher,  c'est croire qu'il y a quelque chose, trouver, c'est reconnaître ce qu'il y a.

04/02/2007

Lecture

Un appel à contribution émis par la revue Figures de l'art m'a semblé poser des questions particulièrement intéressantes. Le voici:

« Dans la préface à la deuxième édition de La Gaya Scienza, Nietzsche pressent la venue d’un art « göttlich unbehelligt ». Pierre Klossowski traduit joliment l’expression par « divinement désinvolte ». Nonobstant, si le mélomane du Cas Wagner goûte sans réserve la limpidezza populaire de la Carmen de Bizet ou la merveilleuse parrhesia des opérettes d’Offenbach, il ignore le paganisme joyeux et intempestif de la palette impressionniste ; comme s’il pressentait qu’elle allait servir de base de lancement au Grand Récit moderniste de Malevitch et Greenberg, dont la téléologie formaliste, suprématiste et subliminale trahit l’idéal ascétique, en prolongeant de quelques décennies le stade romantico-chrétien de L’Esthétique hégélienne.

En rouvrant la boîte de Pandore du pluralisme et du mélange des genres, l’art postmoderne, qui s’est fait jour dans les années mille neuf cent soixante avec les guerres de décolonisation, la mondialisation de la culture capitaliste et la ritournelle hégélienne de la fin de l’histoire (de l’art) en toile de fond, a provoqué le retour des quolibets, que Platon adressait aux artistes de la cité démocratique et bigarrée de Périclès, et que Hegel a regroupés en quatre catégories pour désigner l’art d’après la fin de (l’histoire de) l’art : 1°) futile, 2°) décoratif, 3°) bouffon, 4°) ironique ; et celui du concept nietzschéen de (divinement) désinvolte.

Ce concept de désinvolture, dont l’étymologie italienne et espagnole souligne la nature éminemment plastique, me semble le plus à même aujourd’hui de rendre compte d’une création artistique, balançant entre le désinvolte ludique, frivole, désenchanté ou cynique de productions qui (dis)paraissent au rythme des images-flux d’une culture consumériste, et le désinvolte joyeux, malicieux et tragique de «l’art qui cache l’art», dont Nietzsche trouve le modèle dans la peinture faussement naïve de Raphaël. Plus précisément, c’est à la «sprezzata desinvoltura» du parfait courtisan de Castiglione, que Nietzsche emprunte son concept de «göttlich unbehelligte» ; un concept que le philosophe artiste liera les années suivantes à ceux d’intempestif, de volonté de puissance et d’éternel retour. En quels sens peut-on dire que l’artiste est un courtisan désinvolte? En quels sens peut-on dire que la valeur d’une œuvre d’art se mesure à la désinvolture dont elle fait preuve en (ne) se montrant (pas) affectée par les prix qu’elle reçoit? C’est à ces questions que se propose de répondre le n°14 de Figures de l’art.
»  

 

Quant à moi, je vais passer mon dimanche à lire un cours de Jean-Pierre Lalloz datant de 2003 sur cette question de la désinvolture, cours entièrement disponible en ligne, mais assez difficile à trouver. (j'ai mis une demie-heure à repérer le nom de l'auteur et à remettre les pages du cours dans l'ordre).  Voici des liens:

Cours du 11 avril 03.  La notion de désinvolture (1)
Cours du 2 mai 03. (2) : désinvolture et réflexion
Cours du 9 mai 03.  (3) : responsabilité et vérité
Cours du 16 mai 03.  (4) : son éthique
Cours du 23 mai 03. (5) : métaphysique et désinvolture
Cours du 30 mai 03.  (6) : la vie contre la vérité et contre le monde
Cours du 06 juin 03. (7) : eyes wide shut
Cours du 13 juin 03. Conclusion sur apprendre à vivre

J'attends vos propositions rebondissantes ( vous qui passez par ici: sz, Gardner, Rampa, Girard, Philippe(s), Nunzio, Pante, Rothe, Pellet ) sur la désinvolture de (dans, autour de [?]) la peinture contemporaine. On pourrait reprendre les débats sur Scheibitz et consort à partir de ces textes.