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11/08/2006

Trois anecdotes



Lors d’une rencontre (la deuxième) avec w, nous parcourons ensemble une exposition consacrée à un oncle de sa famille, peintre actif dans les années 30 à 70 environ. Après la visite, je résume dans un carnet les anecdotes que w me raconte et dont je me souviens. Je me rends compte qu’elles tournent toutes autour d’un thème commun: le peintre vaincu.


Voici ces anecdotes.
w rend visite au peintre âgé. Celui-ci lui propose de choisir une peinture qu’il pourra emporter. w opte pour un autoportrait du peintre qui lui semble dégager une paix intérieure, une sérénité (le peintre s’est semble-t-il représenté les yeux fermés) qui correspondent à l’image qu’il se fait de ce presque vieillard qui a consacré sa vie à la peindre.
Il apprend plus tard que ce portrait a été réalisé dans une période de profonde dépression, juste avant ou juste après une tentative de suicide.

w raconte l’histoire suivante: l’oncle peintre travaillait à Paris dans les années 30. Après une période symboliste, il se lance dans une série de peintures «transparentes». Dans celles-ci, une ou plusieurs figures, souvent féminines, sont représentées de telle façon que le paysage derrière elle semble les traverser. Il expose à ce moment là dans la même galerie que Francis Picabia. Picabia voit ces peintures et réalise une série selon le même principe. Ces peintures apporteront à Picabia gloire et fortune alors que l’oncle qui a mis au point le procédé sera négligé.

À la fin de sa vie, le peintre, revenu en Suisse, se lie avec Ramuz. De cette amitié naîtra le projet d’une nouvelle édition de l’Adam et Ève de l’écrivain, illustré par le peintre.
À partir de 7 peintures préparatoires, l’oncle peintre réalise 7 dessins qui devront aboutir à 7 lithographies destinées au livre.
Suite à des complications de la part de l’éditeur, le livre ne sera jamais réalisé. L’oncle peintre continue néanmoins ses variations sur le thème. Sa toute dernière peinture, probablement inachevée, reprend l’un des sujets illustrant Adam et Ève: on y voit Bolomey (le héros du livre de Ramuz) perché sur un arbre, la nuit, son visage reflété dans l’eau du Léman. (Je crois me souvenir qu’il observe un couple enlacé au bord de l’eau.)
Selon w, le visage de Bolomey a les traits de l’oncle peintre qui meurt noyé quelques temps après.



À ces anecdotes s’ajoutent des impressions relevées lors de la visite de l'exposition, quelques images.
Une chambre avec un balcon dont on voit la balustrade forgée, vue sur le Léman, assez lointain. (J’apprends que la chambre en question est située tout près de chez moi, sous le Parc Mon-Repos), des figures féminines font la sieste ou lisent. Parmi elles, l’épouse de w.

Une vision récurrente pendant la période symboliste: un cœur suspendu, derrière les barreaux d’une clôture de parc; ce cœur est ceint d’un branchage épineux.
Une goutte de sang s’en écoule.

08/08/2006

Résonances du readymade

Notes de lecture.
Thierry de Duve
Résonances du readymade


1. Autonomie de la peinture (1917)
2. Glissement de la peinture (spécifique) vers l'art (générique) (1917-1960)
3. Abandon de la peinture, autonomie de l'art (1970)
4. Glissement de l'art (autocratique) vers la culture (démocratique) (1980-2000)
5. Abandon de l'art, inscription des pratiques (dès 2000)
6. (Aujourd'hui) retour de la peinture, non pas comme art spécifique, mais comme pratique particulière.

La peinture est aujourd'hui une pratique, au même titre que la collection de timbres, la sodomie, le vomissement, le journal intime, le classement de fiches cuisine et le happy slapping. Elle ne s'inscrit plus dans le champs de l'art, mais de la reproductibilité, i. e. de l'industrialisation et de la consommation.
Le nouveau statut de l'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique a été analysé dès 1920, et la grande bagarre pour savoir si la peinture avait encore une raison d'être s'est achevée sur un drôle de retournement. Ce n'est pas la peinture qui a été abandonnée, c'est l'art. Un artiste des années 60 et 70 comme Allen Kaprow, par exemple, («Le jeune artiste d'aujourd'hui n'a plus besoin de dire je suis peintre. Il est artiste tout simplement.») doit être sidéré d'assister (et d'avoir participé) à la disparition non pas de la peinture, mais de l'art, qu'il considérait comme le générique de sa pratique spécifique. De Duve peut encore écrire en 1989: «Peindre après Duchamp, cela signifie peindre dans les conditions hostiles de l'industrialisation», mais cela n'est valable que si l'on prétend que la peinture est une pratique artistique, si l'on décide qu'elle est une pratique industrielle, l'hostilité n'a plus cours.

C'est ce qui se passe aujourd'hui. La peinture est acceptable à condition qu'elle ne se prétende pas artistique.
Elle doit s'inscrire comme une pratique, pratique particulière certes, même le plus particulière possible, mais en aucun cas spécifique, et encore moins générique. Telle est la condition.