Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/08/2011

Pop compilation I (Fabiola Cloaca)

Francis Alÿs présente sa collection de portraits de Sainte Fabiola dans la cossue «Haus zum Kirschgarten» du Musée Historique de Bâle, dans une exposition proposée hors ses murs par le Schaulager.

Passé l'entrée, on est conduit dans le jardin intérieur, où un petit pavillon présente une première série de 67 Fabiolas. Huiles sur toiles, formats standardisés: S et XS (20P et 15P) et programme iconographique ultra-réduit: sur un fond verdâtre, un voile rouge (plus romain que monacal) forme un pli vulvaire dans l'axe de symétrie vertical du tableau; en dessous, un profil féminin découpé à la scie sauteuse, sourcil levé, regard lointain; frange, joues rouges, lèvres closes: supérieure en général fine et inférieure pulpeuse; menton galbé comme une fesse.

300 peintures sont ensuite visibles, réparties dans tous les coins du musées, vaguement classés par techniques: broderies, émaux, miniatures, grands formats. On comprend que la récolte de Francis Alÿs est de longue haleine, qu'il a probablement écumé marchés aux puces, vide-greniers et brocantes pendant des années.

fabiola.JPG

Fabiola en feutre et boderie (merci à Luc et Sandro)

Fabiola (dont je n'ai jamais entendu parler) est visiblement une sainte populaire, star sexy et spirituelle, et son image a été produite à la chaîne au 20e siècle (quelques dates relevées: 1949, 1990, 1975, 1948) par une foultitude de peintres plus ou moins habiles  (Aneker, V. Ch., Desmet A., Lulu, Francis Huys) et d'après un modèle unique. Je découvre le nom de l'auteur du prototype grâce à J. Verulpens (?) qui a l'élégance de citer sa source et qui note «d'après Henner».

La fortune du «modèle» créé par Henner (dont j'apprends par le catalogue qu'il a été peint en 1885 et qu'il a disparu en 1912) et sa répétition (toujours manuelle, pas de procédés de reproduction technique ici) provoque une sorte d'hallucination. Les raisons de son succès ne sont pas mystérieuses: Henner a parfaitement réussi son coup. Sa Fabiola irradie de sensualité puritaine, agrégeant la statuaire d'un Dante «apaisé» à l'imagerie d'Epinal d'un Petit Chaperon Rouge pubère (qui fait d'ailleurs les beaux jours de la publicité dans nos vallées télévisuelles). Elle possède l'aura standardisée d'une princesse bollywoodienne et l'obscénité de l'Origine du monde de Courbet. La force de frappe visuelle d'une ombre découpée et la tendreté d'un macaron parfumé à l'eau de fleur d'oranger.

Le geste de Francis Alÿs est lui plus étrange. A quoi sa collection sert-elle? Ou pour être plus précis: que signifie l'exposition de sa collection? Elle a toutes les caractéristiques d'un geste artistique: programme, sérialité, compilation, archivage, critique et ludicité. La notion d'auteur et d'œuvre est évacuée: il ne s'agit pas de décider qui a fait la plus belle Fabiola, ni qui a eu le plus d'inventio dans son exécution. Les différences entres les peintures sont des «variables», dues à l'habileté relative de l'auteur, à sa proximité avec l'«original» perdu (a-t-il une bonne reproduction? fait-il une copie de copie?). Il y a autant des croûtes bâclées à la va-vite que de joli morceaux de peinture (rares tout-de-même), mais la question n'est bien sûr pas là. Alors quid?

Ces Fabiolas ont été faites et sont collectées pour leur valeur d'échange et d'usage: elles remplissent les conditions pour servir d'icône populaire et petite bourgeoise autant du point de vue technique (c'est fait à la main, donc unique, mais c'est pas cher car en général très vite fait) que du point de vue iconographique (Fabiola est une sorte de Hausfrau inspirée, une matrone consolatrice et une infirmière: un modèle d'épouse et de «femme d'intérieur»). Son portrait n'est pas un objet de dévotion, ni de méditation, mais un modèle (un patron) auquel sont comparées les filles et femmes de la maisonnée.

Il s'agit ici de commerce et de normes (de politique domestique). Une collection de billets de banque périmés ou provenant d'un pays qui n'existe plus. Avec une couche de sentimentalisme bien régressif. On pense bien sûr aux icônes standardisées que sont les Marylins ou les Dollars Bills de Wahrol, sauf les Fabola sont reproduites non pas par les sérigraphes de la Factory, mais par des centaines de tâcherons éparpillés à travers le monde.

Que signifie l'exposition de cette collection dans un lieu «culturel»? Elle me donne un choix: soit de critiquer la norme (ce qui me met dans une position paternaliste face à la consommation d'une icône populaire dont je déjoue les mécanismes d'oppression avec la satisfaction de l'élite) soit de valoriser les écarts à la norme (ce qui m'amène à regarder ces peintures comme des assiettes «peintes à la main», à repérer les maladresses et les ratés, bref à opérer un «contrôle-qualité», avec comme filtre: «ça passe» ou «comme c'est mignon, il s'est donné de la peine»).

En exposant ces 367 peintures, Alÿs opère une mise-à-nu particulièrement violente (lucide) de 367 gestes picturaux qui ne valent que par leur soumission à une règle (que le spectateur est mis en situation de critiquer) et par l'artisanat qu'ils démontrent (devant lequel le spectateur est mis en situation de s'attendrir). Eh oui, ça n'est que ça, la peinture (car si cette exposition parle d'imagerie populaire, de collection, de compilation, de politique iconographique, elle parle AUSSI de peinture): de faux billets maladroitement imités, de pauvres étrons humblement sculptés par des boyaux soumis au besoin primaire.

Les commentaires sont fermés.