15/06/2008
David Ben White
A l'occasion de l'exposition «Working space II» à la galerie Lucy Mackintosh à Lausanne, qui dure encore jusqu'au 28 juin 2008, j'ai commencé une conversation par mail avec David Ben White, peintre et co-curateur de l'exposition. En voici un extrait, traduit par mes soins et selon mes (maigres) possibilités.
David Ben White: Quand je suis sorti de l'école, j'ai travaillé deux ans dans une compagnie de disque avant de monter un groupe avec mon frère, qui a eu pas mal de succès en Grande-Bretagne. Ensuite je suis parti pour Israël, où j'ai vécu 6 mois dans un kibboutz avant de m'installer à Tel-Aviv, qui est resté un pied-à-terre pour un temps. J'ai fait un voyage à travers l'Europe avec mon meilleur ami et on s'arrêtait dans toutes les grandes galeries qu'on trouvait sur notre chemin. Déjà du temps du groupe, j'allais dans les galeries et les musées des villes où on jouait, si l'agenda le permettait.
J'ai toujours été branché sur l'art mais je trouvais que ma carrière musicale était tout à fait satisfaisante, jusqu'à ce que je me mette à peindre à l'âge de 35 ans. J'avais fait l'équivalent d'un bac artistique au collège mais j'avais arrêté par la suite.
J'avais commencé par une peinture très abstraite, jouant avec les textures de surface et avec l'épaisseur de l'huile – en autodidacte. Par ailleurs, j'ai commencé à utiliser une caméra digitale et prenais des photos en gros plan de visages. Je demandais à des gens qui ne se connaissaient pas de triturer, malaxer et manipuler le visage de l’autre et je le photographiais en gros plan, distordu et grotesque. Mais j'aimais la maladresse de mes peintures, et je sentais que je voulais utiliser ça comme point de départ quand j'ai commencé les beaux-arts. J'ai toujours eu la peinture en point de mire — ça a toujours été ma passion. Ce qui m'a donné envie de peindre c'est le sens historique que la peinture charrie — son extraordinaire capacité à s'adapter et à changer pour s'accorder au langage de la culture visuelle de son temps — le fait qu'elle semble se réinventer dans le monde où elle apparaît.
Si, comme tu le dis, la peinture est officiellement «morte», je crois moi que la peinture s'est redéfinie dans cette nouvelle liberté d’outre-tombe, pour ainsi dire, et qu’elle danse avec bonheur et tout à fait délibérément sur sa propre tombe. Il me semble qu’il y a là un potentiel immense. En quelque sorte, son impuissance est ce qui fait son attrait.
Qu’est-ce que j’entends par là?
Je crois que si nous vivons dans un âge technologique, numérique, cela ne signifie pas que l'art et l’appréhension du «nouveau» doivent nécessairement être définis uniquement dans ce paramètre. Ça serait pour moi la vision régressive. La peinture arrive parce qu'elle peut. Son poids d'histoire, au lieu de travailler contre elle, confère aujourd’hui un sens plus grand à sa maladresse, à son incongruité, ce qui peut amener à ce que des associations riches se produisent.
Je crois que les peintres qui m'excitent en ce moment jouent avec ce sens de l’histoire de la peinture, mais tout en sapant sa solidité, et qu’ainsi ce recyclage de l’histoire ouvre sur des connexions étrangement hybrides.
J'ai aussi le sentiment que ce qui est intéressant à l'heure actuelle est la manière dont certaines installations de peinture peuvent jouer l’emphase Wagnérienne – sans aller nécessairement jusqu’à l’hypertrophie d’un Kiefer, mais dans le sens que le peintre peut submerger les sens, avec la physicalité de la peinture, de l'installation et de leur combinaison, en étant à la fois hypertrophié et pathétique.
Je crois que c'est le mot qui m’intéresse le plus: le pathétique (the pathos). Il me semble que c’est pour ça que la peinture a une telle résonance en moi – c’est plein de pathos et de prestige ; l’un est aussi ridicule que l’autre, mais c'est une combinaison passionnante, riche de possibilités. C'est peut-être ça qui m’intéresse le plus. J'ai écrit à propos de mes peintures récentes:
«Ces peintures nient activement leur logique spatiale. Il s’agit d’un montage qui affirme son invraisemblance en tant que quoi que ce soit qui pourrait être vu comme étant tridimensionnel. Ce sont des ratés. Tout en citant des éléments issus du modernisme, ces peintures ont l'intention de nier qu’elles seraient quoi que ce soit d'autre qu'une peinture. Et de cette façon elles aiment danser sur la tombe de leurs ancêtres. C’est dans leur matérialité même qu’elles achèvent leur autarcie (own-ness). C'est ça la peinture - c'est ce que la peinture fait - elle crée une illusion et dans le même temps la prive de sa plausibilité, en imposant son autarcie sur le montage.»-1-
Pari les peintres qui m’intéressent, je citerais Neal Tait, qui a mon âge et que je trouve particulièrement passionnant. Si tu ne connais pas son travail, je te recommande d’aller voir, en particulier sa dernière exposition à la galerie Tanya Bonakdar à New York. Il y a aussi Michel Majerus, Kippenberger, Tuymans, Armen Eloyan et j’ai eu récemment une très bonne conversation avec Tal R, dont j'avais aimé le travail et dont les idées et l'enthousiasme m'ont complètement inspiré.
La peinture a toujours un sens aujourd'hui, parce que c'est un des meilleurs moyens dont l’artiste puisse disposer pour mettre en œuvre la collision du passé et du présent.
-1- “These paintings actively deny their spatial logic. It is a set up that asserts its own improbability as anything that could be viewed as being three-dimensional. They are duds. Though actively quoting these elements of language garnered from modernism etc. these paintings set out to deny their own existence as being anything other than a painting. And in this way they affect to dance on the grave of their ancestors. Their very materiality enforces its ‘own-ness’. This is paint- this is what paint does- it creates an illusion and robs it of its own believability at the same moment, by imposing its own-ness on the set up.”
10:30 Publié dans bavettes | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook
Commentaires
Vous le savez sans doute, ma bio de B. Cantat, aux éditions Scali, est bien sûr disponible partout en France: "Un noir désir, Bertrand Cantat", Andy Vérol, Editions Scali, avec une excellente présentation de Patrick Eudeline.
Mais il y a aussi ce roman que je défends bec et ongles, interdit d'articles dans la grosse presse pour cause de "roman trop trash", ben voyons. C'est plus parce que j'y secoue leurs grosses gueules bien installées et leurs certitudes qu'ils nomment intelligence, qu'ils se refusent à se faire caresser par ma bête littéraire. Fort heureusement, très soutenu par les marges, les mondes alternatifs, "Les Derniers Cows-boys français" vit sa vie entre les mains de nombreux lecteurs. Mon éditeur, Pimientos, a créé une collection offensive ambitieuse: Pylône. Voilà, vous savez presque tout, et si vous en voulez encore, des infos, vous tapez "Andy Vérol" avec vos doigts boudinés/osseux, sur les gros méchants moteurs de recherche (j'suis sûr qu'il y a des esclaves qui pédalent pour faire mouliner la recherche, j'suis sûr han).
Je ne vous aime jamais.
Andy Vérol
Écrit par : Andy Vérol | 25/07/2008
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