Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

05/12/2006

L'ennui niçois

Je découvre aujourd'hui une nouvelle version de David et Bethsabée et un peintre qui m'était parfaitement inconnu: Gustave-Adolphe Mossa (1883-1971). Fils d'Alexis Mossa (1844-1926), lui-même déja peintre paysagiste reconnu, Gustave-Adolphe est un peintre symboliste niçois, dont l'œuvre ne couvre que 15 années d'activité de 1903 à 1918. ( Un grand merci au blog globuleux de Benoît pour cette découverte.)
Voici la peinture en question:


 

On retrouve les incontournables du sujet: la terrasse, la lettre au sol, le lévrier et son collier (ici orné d'un crâne), le paysage urbain au loin. Par contre il y a des choses étonnantes: Bethsabée n'est pas en train de se baigner et on peut se demander où est David. Je me suis demandé un instant si c'était lui à droite, penché sur Bethsabée. D'autres figures masculines dans l'œuvre de Mossa, en particulier un Christus très efféminé rendraient la chose presque imaginable, mais on décidera plus simplement que David est l'homme à cheval qui nous tourne le dos et laisse Bethsabée à ses pensées. Le cavalier pourrait aussi n'être que le messager, mais il est richement harnaché et armé, semble-t-il, ce qui sied plutôt à un roi.


 

Deux choses m'intriguent ici, en rapport avec les Vénitiennes de Carpaccio. Comme chez Carpaccio, pas de baigneuse, pas d'eau, pas de pieds nus. Les figures féminines sont habillées et pas qu'un peu. Bethsabée incarne la bourgeoise 1900, comme les Vénitiennes de Carpaccio les bourgeoises de son temps. Elle a l'air lasse, légèrement blasée mais avec encore un petit reste de rêverie innocente qu'elle perdra bientôt. C'est une élégante, une fille de famille; elle est bien coiffée et porte à son cou un collier de perle. La matrone quant à elle, semble sortir d'un conte fantastique, elle est penchée en avant, de profil, comme celle de Carpaccio.

 Sa coiffe phallo-vaginale où serpente un filet rouge sang qui finit en hameçon,

 

son air d'intriguante, sa cape richement ornée, l'emprise qu'elle a sur sa jeune protégée: elle a tout de la mère maquerelle, ou de sa version bourgeoise: l'entremetteuse. Ces figures correspondent assez bien à ce que décrit Edouard Dor dans «L'ennui des deux Vénitiennes»: Elles sont enfermées (par les hommes), elle s'ennuient (pendant que les hommes sont à la chasse), cet ennui «métaphysique» fait qu'elles ne sont «pas là», elles sont de l'«autre côté», «vers la mort», leur ennui fait d'elles des « expressions de la mort», pendant que les hommes s'agitent dans la banalité de la «vie».

 

L'ambiance œdipienne est palpable. Il y a un compte à régler. Le désir de David, dont la trace écrite palpite sur le marbre de la terrasse, se paiera d'un enfant mort-né. Pas de joie ici, comme chez Carpaccio, comme chez Dor, mais du calcul. La dette impayée et impensable est figurée ici (comme chez Freud) par un chapeau posé sur les genoux.

 

 

Les commentaires sont fermés.