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07/08/2006

Et dit merde (readymade)

La merde a de l’avenir. Vous verrez qu’un jour on en fera des discours.
Louis-Ferdinand Céline.



L'équation art=merde a encore de beaux jours devant elle. Une petite revue de blogs et de sites qui abordent la question, ici, ici et entre mille autres. Je vous propose ici ma modeste contribution.

Le point de départ est la fameuse proposition de Duchamp Marcel: «Arrhe est à art ce que merdre est à merde» mise en rapport avec une phrase du peintre Eugène Leroy: «Je veux bien qu'on dise [de ma peinture] que c'est du caca, mais pas que c'est de la merde».

Ma question: quelle différence entre merde et caca? le salaire de la merde est-il préférable à celui du caca? où se cache le caca quand s'échange la merde sur le marché de l'arrhe?

Prenons les deux cas les plus illustres, tels qu'on les trouve résumés dans un article de Wikipédia sobrement intitulé «Matière fécale»: En 1961 l'artiste Piero Manzoni créa son œuvre provocatrice Merda d'artista.
En 2000, Wim Delvoye crée Cloaca, un tube digestif humain géant et fonctionnel. Cloaca produit après un traitement de 27 heures, des excréments qui sont ensuite vendus.

Chez Piero Manzoni, le caca est scellé hermétiquement dans une boîte de conserve. On n'en voit rien, on ne sent rien. La seule indication de ce qui se trouve dans la boîte est l'inscription Merda d'artista qui y est collée.
Chez Wim Delvoye, par contre, tout est visible: la machine est en grande partie en verre, transparente. Ce qui en sort ressemble à de la merde, c'est un excrément fabriqué «naturellement» par une machine, mais est-ce vraiment du caca?

Nous avons donc d'une part une merde déclarée, énoncée, et un caca invisible, d'autre part une merde fabriquée, visible, et un caca artificiel. Le tout étant commercialisé.
Ce qui se commercialise n'est donc pas le caca, mais le discours sur le caca; ce discours étant appelé ici «merde».
Le caca est enfantin, individuel, pulsionnel et gratuit, la merde est adulte, sociale, contractuelle et payante (au prix de l'or dans le cas de Manzoni).

Je propose de faire avancer la réflexion sur la peinture en posant cette nouvelle équation: peinture est à art ce que caca est à merde.

— particulièrement en peinture —



«Tu comprends, lui avait-il dit en plissant son front pur et en vidant vigoureusement sa pipe, je considère qu'il y a dans l'art — particulièrement en peinture — quelque chose de féminin, de morbide, d'indigne d'un homme fort. J'essaye de lutter contre ce démon parce que je sais la façon dont il perd les hommes. Au cas où je me livrerais entièrement à lui, c'est une vie non pas tranquille et mesurée, avec une quantité limitée de chagrins, une quantité limitée de plaisirs, avec des règles précises sans lesquelles tout jeu perd son charme, ce n'est pas cette vie-là qui m'attend, mais la confusion totale ou Dieu sait quoi! Je serai tourmenté jusqu'à ma tombe, je ressemblerai à ces malheureux que j'ai rencontrés à Chelsea, à ces imbéciles vaniteux aux cheveux longs, vêtus de blousons de velours, détraqués, faibles, n'aimant que leur palette poisseuse…»

Nabokov, La Vénitienne