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07/10/2006

Pardon Charles






Hier soir, 6 octobre 2006, très instructif vernissage de l'exposition Charles Gleyre, le génie de l'invention au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne.

On y a appris bien des choses.
1. Que le tableau «Les romains passant sous le joug» aurait dû être du même format que «La mort du major Davel», mais que la commande a été réduite faute de place pour l'exposer.
2. Que le chef d'œuvre «La mort du major Davel» a pu être incendié en 1980 parce qu'il n'y avait pas de place pour lui dans un stock qui l'eût protégé des pyromanes.
3. Que Charles Gleyre serait beaucoup plus connu et exposé à l'étranger s'il était visible à Lausanne où se trouve le fonds le plus important des ses œuvres, mais où il ne bénéficie d'aucune exposition permanente (faute de place.)
4. Qu'aucune rue, aucune place lausannoise n'est dédiée à Charles Gleyre.

Le canton de Vaud est donc coupable (comme la tête du Major), coupable de petitesse d'esprit et de locaux, coupable, coupable. Pendant que les uns exhortent à l'expiation par la construction d'un nouveau musée, les autres défilent devant ce qui reste du «Major Davel» incendié, comme devant un miroir, et pleurent avec le bourreau repentant.


PS: Après 30 minutes de googlisation, la pitoyable reproduction ci-dessus est tout ce j'ai trouvé sur LE chef d'œuvre de l'art du canton de Vaud. Pourrez-vous faire mieux?

01/10/2006

Stéphane Zaech



Aujourd'hui, (trop) courte visite à l'atelier de Stéphane Zaech.
J'ai déjà tenté, ici ou là, (dans quelque revue anglaise du nord de Londres) de décrire la peinture de Zaech pour celui qui ne la connait pas. Je me rends compte que c'est assez difficile. Mes impressions de la visite d'aujourd'hui: pour Zaech, une peinture est achevée lorsque deux conditions sont remplies. D'abord et surtout il faut qu'un corps (homme, femme, jeune, vieux, beau, laid, nu, habillé à la dernière mode ou en costume de travail, il y a presque toujours une ou plusieurs figures) trouve une posture à la fois singulière, inédite, personnelle et en même temps hiératique, permanente, opaque. Ensuite que s'ouvre un espace qui soit à la fois une conque, une gangue dans lequel le corps se moule et une percée lointaine devant lequel il se révèle. La lumière joue ici un rôle important: les zones le plus claires, les plus colorées sont souvent à la fois la plus proche (le sommet d'un genou, le galbe d'une cuisse) et la plus lointaine (une ville dans la nuit de l'autre côté du lac, un bassin d'eau illuminé, un arbre en fleur sur une colline à l'arrière-plan). L'articulation entre ces deux points lumineux, contradictoires mais également nécessaires, créent un espace à la fois vaste (du très proche au très éloigné) et extrêment dense (le plus proche et le plus lointain ont presque la même densité).
Quand ces deux conditions sont remplies, Zaech passe à autre chose. Quels que soient le «fini» du «dessin» (souvent des grandes zones sont à peines esquissées, ou laissées en suspens), la densité de la couleur (le gris domine), la matière picturale (souvent maigre, sans effets).
C'est, je ne m'en étais pas encore rendu compte, une peinture de sculpteur. On a souvent cité Picasso dans la généalogie de la peinture de Zaech, mais il faudrait insister aujourd'hui sur l'influence de Giacometti, dont Zaech parle souvent, et qui n'a pas vraiment été relevée.



A la différence de Giacometti, qui aura creusé toute sa vie la même figure frontale, toujours le même petit espace entre l'orbite des yeux et l'arête du nez, Zaech, je l'ai dit, tord, pose, assied, agenouille, cambre, tourne les corps dans des postures très diverses. (Ce qui l'amène à peindre par exemple une version nouvelles des Trois Grâces que Giacometti aurait sans doute décrétée impossible). Ces postures sont parfois issue de «choses vues»: telle façon de tenir en équilibre sur des sandalettes à hauts talons ou sur des semelles compensées, et parfois elles naissent du processus pictural: un bras qui tombait par là s'efface et vient se poser par ici, et c'est inattendu. Quand tout est en place, posture vue et posture née du processus pictural ne font plus qu'un(e), et on assiste à l'entrée dans le temps d'une nouvelle façon d'habiter un corps et de le poser dans l'espace.
Parfois c'est presque impossible, et sont alors mis en place, comme dans cette monumentale et tintoresque Descente de la croix, des objets de toutes sortes (fruits, légumes, casseroles de darne de saumon, cordes, échelles, etc) qui doivent maintenir, contenir, un corps qui explose, qui se disloque, qui disparaît dans les espaces qu'il creuse et boursoufle l'espace où celui qui regarde espère encore pouvoir tenir, pour au moins comprendre ce qui arrive. Le corps, ici, ne «tient» plus, et la peinture tout juste. On sent physiquement, douloureusement, quel vide doit s'ouvrir pour que puisse advenir non pas un autre simulacre de simulacre mais — quoi? une petite parcelle de cette continuité du corps qu'on appelle — comment déjà? la mer allée au soleil.